La réalité virtuelle ne vaut rien sans le storytelling

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La réalité virtuelle vend du rêve. On parle quand même de recréer à partir de rien tout un monde ! Comme Dieu en personne. Un monde accessible en enfilant simplement un casque de réalité virtuelle sur sa tête…

 

Mais comme toute innovation technologique, la réalité virtuelle n’est finalement qu’un outil. Encore faut-il savoir s’en servir habilement. Si j’hérite d’une Ferrari, mais que je ne sais pas conduire, j’ai un superbe véhicule… dans mon garage ! Bien sûr, je pourrais prendre des selfies avec, me mettre au volant et faire semblant de vivre une course, et d’autres activités annexes qui laissent de côté l’utilisation véritable du bolide.

 

On peut tout à fait “faire joujou” avec la réalité virtuelle (VR). Mais si l’on ne sait pas comment faire ronronner le moteur et pousser la machine au maximum de ses performances, c’est un peu triste, non ?

 

Et pour faire décoller la VR, nous avons besoin du storytelling.

 

La réalité virtuelle, un gadget de plus ?

 

Début 2017, Carrefour équipait un de ses magasins à Bucarest de casques VR. On pouvait ainsi tester un jeu imaginé par une assurance contre le casse et le vol de smartphones. Voici le pitch du jeu :

 

L’utilisateur est plongé dans un univers bucolique… puis se fait surprendre par une attaque d’astéroïdes. Il doit alors se défendre (lui et son portable) à l’aide d’un bouclier. S’il choisit de s’équiper d’une assurance, il dispose d’un bouclier beaucoup plus imposant et d’une ressource de vies supplémentaires… et sauve ainsi son smartphone.

 

Je ne sais pas ce que ça vous inspire, mais moi, ça me donne envie de pleurer. On ne risque pas de voir ce jeu arriver sur playstation VR ! L’horrible vérité, c’est que la compagnie d’assurance voulait surtout faire le buzz, sans trop se fouler. Mais est-ce qu’ils se rendent compte qu’ils mettent un moteur de Fiat Panda dans une Ferrari ?

 

Parenthèse : quand on regarde des casques comme l’oculus rift ou le HTC vive, on peut vraiment parler de Ferrari de la réalité virtuelle d’ailleurs. Fin de la parenthèse.

 

Une attaque d’astéroïdes ! “Ah non, c’est un peu court, jeune homme. On pouvait dire, oh Dieu, bien des choses en somme.” Nous oublions parfois de nous rappeler que nous sommes la patrie de Cyrano de Bergerac.

 

Imaginons rien qu’un instant ce qu’on pourrait faire avec une situation de départ comme celle-ci : vous avez un smartphone et vous devez absolument le garder en bon état. Vous devez délivrer un message important ou recevoir une communication vitale.

 

  • Imaginons que vous êtes un agent secret et que vous tombez en plein milieu d’une émeute. Vous devez éviter des projectiles pour prévenir votre gouvernement d’un danger.
  • Ou bien vous êtes un pompier dans un immeuble qui tombe en morceau après un tremblement de terre. Vous devez localiser des personnes et transmettre leur position à l’équipe de secours…
  • Dans le registre de la comédie : votre avion atterrit en catastrophe au beau milieu de la jungle. Votre téléphone est votre seul moyen de contacter la civilisation, mais il n’y a pas de réseau. Vous vous déplacez afin d’en trouver lorsque vous êtes attaqué par des singes qui vous lancent des noix de coco !

 

Ce que je veux dire, c’est que la plupart des gens sont abonnés à Netflix (ou une autre plateforme vidéo). Ils s’attendent à avoir des contenus de qualité, des histoires fortes et attractives. Nous ne pouvons pas faire comme s’il n’y avait aucune concurrence dans le domaine audiovisuel.

 

Nous ne devrions pas ignorer l’existence de cette guerre où l’on se dispute l’attention du grand public !

 

Et nous ne devrions pas non plus utiliser l’innovation comme une coquille vide, sans inspiration, sans valeur ajoutée, sans vraie réflexion marketing.

 

Les vertus de l’immersion

 

Et pourtant, la valeur de l’immersion dans la VR est immense : que ce soit pour la création d’une expérience utilisateur ou même la formation.

 

Ce que l’on souhaite vous et moi aujourd’hui, lorsqu’on consomme, ce ne sont pas des produits (ou des services). Il lui suffit de taper “assurance smartphone” dans la barre de recherche de Google pour avoir des dizaines et des dizaines de propositions.

 

Non, ce que nous voulons, ce sont :

 

  1. des contenus utiles, pertinents et bien conçus (par exemple : des astuces pour prolonger la durée de vie de son téléphone portable, comment sécuriser les données dans un smartphone, etc.)
  2. des expériences : ressentir des émotions. Rire, pleurer, frissonner, espérer, retenir notre souffle, vibrer…

 

La VR est mieux placée que n’importe quel autre média pour faire vivre ces expériences. Encore faut-il les scénariser.

 

Et pour la formation ? Dans son livre “Les Lois naturelles de l’enfant”, Céline Alvarez montre l’importance de l’environnement dans l’apprentissage de l’enfant – mais ça vaut aussi pour l’adulte :

 

La visionnaire Maria Montessori avait perçu cette clé environnementale avant tout le monde. Elle savait que l’élément fondamental sur lequel l’adulte devait porter son attention pour soutenir le bon développement de l’enfant était l’environnement : elle avait perçu l’importance de le préparer amoureusement et avec une conscience pleine et savante.

 

Dans la formation continue, la valeur de l’immersion est représentée par le modèle 70-20-10. Ce modèle datant des années 90 (proposé par Michael Lombardo, Morgan Mc Call et Robert Eichinger) donne une indication sur le poids que représenterait chaque source d’apprentissage :

 

  • 10% des compétences seraient acquises à partir des actions de formation
  • 20% grâce à l’échange entre pairs
  • 70% grâce à la pratique et l’expérience

 

Là encore, la réalité virtuelle est idéale pour simuler un environnement professionnel où le collaborateur peut s’exercer et pratiquer sans risque de nuire à l’entreprise ou de blesser quelqu’un.

 

L’un des serious games les plus populaires (un “jeu sérieux” est un jeu qui a un objectif pédagogique) s’appelle Pulse et il simule un service d’urgence dans un hôpital. Imaginons qu’il existe en VR : on pourrait mieux entraîner les internes sans aucun danger pour des patients. Et cela indéfiniment.

 

Le storytelling est un métier

 

Il ne nous viendrait pas à l’esprit de demander à un graphiste d’assurer le marketing de notre produit ou de demander au développeur de faire la comptabilité. Le storytelling est un métier à part entière. Il est exercé par des storytellers.

 

Il nécessite de comprendre et de maîtriser des techniques d’écriture afin de créer une histoire captivante. Bien sûr, on peut se former au storytelling.

 

Nous avons tous vécu des moments comme ça : il y a ce film qui est plutôt mal joué. Les comédiens ne sont pas bons et il y en a même un ou deux qui nous agacent franchement. Pourtant, nous regardons le film jusqu’au bout. Pourquoi ?

 

Parce que l’histoire est bonne. Ou parce que nous sommes captivés par les situations. Dario Fo, l’acteur et metteur en scène italien, prix Nobel de littérature, racontait qu’il était cloué à son siège à chaque fois qu’il voyait une pièce de Shakespeare, même quand celle-ci était mal interprétée. Juste à cause de ça : les situations !

 

Un conteur pose donc des circonstances de départ suffisamment étranges ou surprenantes ou novatrices pour que l’on se demande : “et après, que se passe-t-il ?”

 

Et pour que l’histoire avance, le personnage principal, à partir de la situation de départ est motivé par le désir d’atteindre un objectif. Il ne s’agit pas simplement d’un but à atteindre. Il s’agit d’un désir qu’il n’arrive pas à satisfaire. Andrew Stanton, scénariste de Pixar, en donnait quelques exemples :

 

  • Dans “le Parrain”, Michael Corleone veut plaire à son père (même après que celui-ci soit mort)
  • Wall-E veut trouver la beauté
  • Marlin, le père de Nemo veut protéger

 

Voici deux échantillons parmi la multitude de techniques dont dispose un storyteller : une situation et un personnage animé par un désir. Il en faut beaucoup plus pour créer des bonnes histoires. Mais ces deux éléments à eux seuls, s’ils étaient bien intégrés, pourraient nous prémunir contre “une attaque d’astéroïdes”.

 

Au-delà de la technologie

 

Il y a donc la technologie d’un côté, la réalité virtuelle, qui est un contenant. Et il y a le contenu qui nécessite un tout autre savoir-faire, non celui du développeur, mais celui d’un professionnel du storytelling.

 

Ce que notre audience attend de nous, en tant que marque, c’est que :

 

  • nous fassions preuve de finesse et de créativité comme Cyrano
  • nous préparions amoureusement des environnements susceptibles d’inspirer, d’instruire ou de faire vibrer comme Maria Montessori
  • nous soyons capables de lui raconter de bonnes histoires

 

Soignons le “il était une fois…” Et pour avoir une idée du potentiel de la réalité virtuelle, on peut s’arrêter un moment sur le travail d’orfèvre de Felix & Paul studios.

 

Felix & Paul ont une véritable réflexion, qu’ils poursuivent depuis plusieurs années, sur la notion de présence, c’est à dire l’expérience que procure l’immersion et ce qui fait que l’on ressent la réalité comme réelle. Et ils se posent aussi la question du storytelling et de la façon dont la VR modifie l’art de raconter des histoires.

 

Chaque projet se nourrit, en plus de la dimension technique, d’un travail sur l’expérience et sur l’histoire qu’on raconte.

 

Une autre démarche intéressante, c’est Elisha Karmitz avec l’espace VR du MK2 Bibliothèque. Lors d’une interview donnée à Goglasses, il concluait ainsi :

 

Il y a de plus en plus de qualité et de contenus émouvants, qui génèrent plus d’émotions chez les spectateurs. C’est une belle évolution. On constate également qu’il y a un public assez friand de ça. Par contre, il est absolument nécessaire de proposer aux gens des contenus extrêmement qualitatifs. Sinon, ils n’auront pas de raison de faire de la VR dans un certain cadre. C’est mauvais pas simplement pour les lieux, mais aussi pour l’ensemble de l’industrie. L’important, c’est que la première expérience soit positive et fasse revenir l’utilisateur.

 

Il existe un point de rencontre où la technologie fusionne avec le conte. Andrew Stanton racontait, lors d’un TedX consacré au storytelling, le premier moment qui l’avait conduit vers ce métier. Il avait 6 ans et sa mère l’avait emmené voir “Bambi”. Lors de son speech, il partagea avec l’audience la séquence de Bambi mettant pour la première fois les pattes sur un lac gelé.

 

“Les meilleures histoires infusent l’émerveillement.”

 

Et c’est ici que l’immersion de la réalité virtuelle et le potentiel du storytelling se conjuguent. Dans le merveilleux.

 

Réalité virtuelle et réalité matérielle

 

Revenons un instant à des choses plus terre à terre.

 

“Que l’expérience soit positive et fasse revenir l’utilisateur” : Elisha Karmitz soulève un point crucial. La VR est aussi une réalité économique. Si l’on souhaite séduire les utilisateurs avec des jeux de réalités virtuelles (comme la compagnie d’assurance pour les smartphones que nous avons évoqué), la qualité du contenu ne repose pas sur un souci de l’esthétique.

 

La qualité du contenu, c’est ce qui fera que notre audience achète ou n’achète pas le produit. Dans le domaine de la formation, la qualité est garante de l’engagement du collaborateur dans son apprentissage.

 

Le défaut de storytelling est le couperet qui tombera sur la nuque des firmes négligentes cherchant le buzz pour le buzz. Et ceux qui soigneront l’expérience utilisateur prospéreront.

 

Quant à ceux qui parviendront à communiquer le merveilleux, le monde leur appartiendra !

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